Stratégie | 07/11/25

Le télescope d’Equinoxe – Private Equi-qui ?

Pour les lecteurs pressés, les points clés :

> Nous creusons dans cette édition la classe d’actifs du private equity, en pleine mutation.

> Les nouveaux fonds evergreen à destination des particuliers ne semblent pas une proposition très attractive.

> En revanche, le private equity secondaire offre des opportunités intéressantes pour qui accepte une vraie illiquidité

> La recomposition du secteur appelle à redoubler de prudence dans la sélection des gérants, une forte consolidation étant à prévoir ces prochaines années.

 

L’âge de glace. Le private equity (PE), après avoir connu un développement exceptionnel depuis le début du XXIè siècle à peine interrompu par la Grande Crise Financière, traverse depuis 2022 une phase intense d’ajustement. Nous voyons essentiellement trois raisons à cette crise : i) la remontée des taux d’intérêt qui renchérit le coût du capital pour une industrie qui repose fondamentalement sur l’endettement ; ii) des valorisations euphoriques post-Covid qui redescendent sur terre ; et iii) une évolution des leviers de création de valeur dans un monde où la digitalisation est arrivée à maturité. Le premier résultat visible du retournement du marché, comme dans l’immobilier, a été un ralentissement considérable des ventes de sociétés non-cotées, les fonds se retrouvant avec des participations sur les bras sans repreneur. C’est un problème vital pour des investissements qui ont des durées de vie maximum et qui sont jugées sur un critère de TRI (Taux de Rentabilité Interne) où la vélocité de l’argent est essentielle.

Antisélection. Dans ce contexte de gel la liquidité, les fonds n’ont plus été en mesure de rendre l’argent à leurs investisseurs historiques, essentiellement de grands institutionnels. Non seulement ces clients sont mécontents de voir leur argent immobilisé plus longtemps pour des performances moindres, mais cela freine surtout la collecte d’argent frais pour les nouveaux millésimes de fonds. C’est donc tout le business model du PE qui est grippé. C’est dans ce contexte que se créée la grande idée de la « démocratisation » du private equity, qui n’a rien à voir avec une idée généreuse de partager les bienfaits d’une classe d’actifs performante, mais au contraire de créer un relais de croissance pour des gérants en panne de collecte. Gardons à l’esprit que nous, investisseurs particuliers, ne sommes qu’un second choix pour ces gérants qui viennent à reculons sur le marché de la gestion de patrimoine. Et de la lucidité au cynisme, il n’y a qu’un pas : il est possible de penser que s’opère un phénomène d’antisélection par lequel les fonds de PE qui cherchent le plus une clientèle de particuliers sont ceux qui ont le plus de mal à convaincre les institutionnels.

Troisième mi-temps. Cette situation a amené deux innovations : les fonds de continuation et les fonds evergreen. Les premiers consistent à placer un ou plusieurs actifs qui n’ont pas pu être revendus à temps par le fonds primaire dans un nouveau véhicule qui prolonge la période de détention et crée de la liquidité pour les porteurs du fonds primaire. Cela peut se faire pour de bonnes raisons : continuer à créer de la valeur pour l’actifs et/ou attendre un marché plus porteur pour le vendre au bon prix. Cela peut aussi être pour de mauvaises raisons : continuer à percevoir des frais de gestion sur un investissement non-performant en se revendant à soi-même. Au premier semestre 2025, 20% des sorties d’investissements en PE se sont faits via des fonds de continuation, un chiffre très élevé qui pose question.

Forever young. Les fonds evergreen sont eux l’innovation principalement destinée à la clientèle privée : des fonds sans maturité, sans appel de fonds, et qui proposent une liquidité trimestrielle sous conditions. Ils ont pour objectif de simplifier les souscriptions et de réduire les horizons d’investissement pour des investisseurs particuliers qui n’ont pas la même patience que les institutionnels. Néanmoins, ces fonds souffrent de problèmes qui nous laissent dubitatifs : des frais (encore plus) élevés, une performance érodée par le besoin de conserver des liquidités pour faire face aux rachats et une moindre maitrise des investissements réalisés à l’intérieur. Orlando Bravo, fondateur du géant américain Toma Bravo, craignait récemment que la clientèle privée se retrouve avec tous les actifs au rebut. Effectivement, une étude de janvier 2025 de l’AMF trouvait une grande dispersion des performance parmi les fonds d’actifs non-cotés destinés à la clientèle non-professionnelle, mais avec des performances moyennes pour les fonds evergreen de 5% par an, environ moitié moins que la promesse de départ.

Opportunités. Comme disait Winston Churchill, « never let a good crisis go to waste ».  En toute crise, il y a des opportunités et le grand hedge fund Millenium ne s’y est pas trompé puisqu’il annonce se lancer dans le PE pour racheter à vil prix des actifs délaissés. C’est aussi l’intérêt des fonds de PE secondaires, dont l’objet est de racheter sur le marché secondaire des participations existantes avec décote. Cela peut être un rachat au gérant lui-même (« GP-led ») ou à l’un de ses investisseurs qui veut récupérer de la liquidité (« LP-led »). Nous pensons qu’il s’agit pour le moment du segment le plus attractif du private equity, avec la possibilité d’acquérir des portefeuilles plus diversifiés et déjà constitués, avec des durées de détention plus courtes puisque les participations sont déjà matures. Mais pour en profiter, il faut accepter de vrais fonds de PE sans liquidité pour plusieurs années.

Malgré eux. Alors que le private equity subit ces mutations, le segment de la dette privée a pour sa part connu un essor spectaculaire depuis quelques années, avec là aussi l’arrivée de fonds evergreen. En dette, ce format est moins problématique puisque par construction, une dette a une maturité identifiée et donc une liquidité prévisible qu’on peut piloter sans détériorer excessivement la performance. Néanmoins des craquements sont récemment apparus en dette privée, avec des défauts retentissants aux Etats-Unis, comme la société First Brands. Ce qu’on observe aussi, ce sont des gérants de dette privée qui prennent le contrôle de sociétés suite au défaut sur leur dette, devenant malgré eux des gérants de PE. Si ces situations se multiplient, il est important de choisir des gérants assez gros et expérimentés pour gérer ce type d’investissements.

Recomposition. Il est clair que ces années de vache maigre pour le private equity vont aboutir à une recomposition du secteur. Certains craignent que des entreprises zombies apparaissent, des gérants qui ne géreront que leurs anciennes participations mais seront incapables de lever à nouveau du capital. D’autres anticipent plutôt une tendance similaire à celle observée dans la gestion d’actifs traditionnelle : une consolidation à marche forcée vers des groupes de plus en plus gros et multi-stratégies, plus résilients face aux cycles de marché. Malheureusement, comme dans le reste de la gestion d’actifs, la relation inverse entre taille des fonds et performance est avérée. Pour nous, cela impliquera de continuer à faire ce que l’on fait déjà : éviter les grands supermarchés de la gestion pour leur préférer les boutiques mono-stratégies ultra spécialisées, et tenter de se faire une petite place à côté de leurs clients institutionnels.

 

Portez-vous bien,

 

L’équipe Equinoxe

 

Avertissement : Ce document est fourni exclusivement à titre d’information générale et ne constitue en aucun cas un conseil en investissements financiers, une recommandation ou une proposition d’achat ou de vente. Equinoxe ne saurait être tenu responsable des conséquences financières d’une décision prise sur la base de ces informations et vous invite à solliciter un conseil adapté et la documentation associée. Par ailleurs, les performances passées ne préjugent pas des performances futures.

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