Stratégie | 28/11/25

Le télescope d’Equinoxe – Le monde qui vient

Pour les lecteurs pressés, les points clés :

> L’Europe fait face à deux problèmes structurels qui remettent en question son modèle de croissance pour les années à venir.

> D’abord la Chine est devenue un concurrent féroce, non pas seulement dans le secteur manufacturier, mais rapidement dans l’industrie culturelle.

> De plus, elle cherche délibérément à réduire sa dépendance au reste du monde, un grave problème pour les exportateurs européens.

> L’Europe a moitié moins tiré parti des innovations technologiques par rapport aux Etats-Unis depuis les années 1990. Si elle n’applique pas les recettes du succès, elle risque une relégation encore plus forte dans la révolution de l’IA.

 

Paralysie. Alors que la fin d’année approche à grands pas et que le budget du pays semble toujours aussi éloigné, le sentiment de paralysie a rarement été aussi prégnant. Le florilège de nouvelles taxes agitées pendant les négociations du budget a eu pour seul effet tangible de précipiter les épargnants français vers l’assurance-vie luxembourgeoise sans que les finances publiques ne s’en trouvent véritablement en amélioration. Pour autant, nous allons tenter de prendre un peu de recul aujourd’hui pour explorer deux problèmes de fonds pour l’Europe dans le monde qui vient, problèmes qui forcent notre continent à repenser urgemment le modèle de croissance qui nous a servi ces vingt dernières années.

Choc chinois 2.0. Le premier de ces problèmes est ce que les économistes ont déjà nommé le « choc chinois 2.0 ». La Chine a désormais achevé la mutation entamée en 2001 avec son entrée dans l’OMC. Elle n’est plus un atelier du monde à bas prix, elle n’est plus un copieur invétéré des marques et des technologies occidentales. La Chine a désormais le capital économique, technologique et humain pour concurrencer et dominer nos entreprises, y compris dans les domaines traditionnels de spécialisation européenne. Cette mutation est particulièrement nette dans l’automobile : non seulement les constructeurs chinois arrivent chez nous avec des modèles plus performants et moins chers, mais c’est aussi vrai sur la chaîne de production. Les constructeurs européens ne peuvent plus se passer de composants chinois pour rester compétitifs.

Luxe local. L’automobile n’est que le sommet visible de l’iceberg. Dans d’autres pans de l’industrie, les Chinois sont désormais dominants grâce à la taille de leur marché intérieur, les subventions publiques que leurs entreprises reçoivent, et parfois les moindres normes auxquelles ils doivent se conformer. De plus, les efforts déployés depuis 2023 sur l’intelligence artificielle appliquée à l’industrie, qu’on appelle « Industrie 5.0 », suggèrent que la Chine entend accroître son avance. Au-delà du secteur manufacturier, la puissance de la Chine se manifeste aussi sur le plan culturel. Les Chinois se tournent de plus en plus les marques locales, y compris dans le domaine du luxe jusqu’ici réservé aux Occidentaux. Ainsi, les débouchés en Chine pour les groupes européens de luxe et de spiritueux sont-ils remis en question.

Néomercantilisme. Pourquoi ces développements sont-ils problématiques pour l’Europe ? Parce que nos économies ont misé sur l’exportation et la demande étrangère pour croître. Bien que mois vrai pour la France où la demande intérieure est historiquement robuste grâce à la redistribution publique, la zone euro est un exportateur net qui compte sur ses débouchés pour tirer les profits, l’investissement et l’emploi. Or, la Chine est désormais non seulement un concurrent féroce, mais elle cherche délibérément à réduire sa dépendance au reste du monde. Les chiffres sont frappants (Graphique 1) : depuis 2021, le néomercantilisme chinois se traduit par une forte hausse des exportations sans hausse des importations, encouragé par la guerre commerciale menée par les Etats-Unis.

 

Néomercantilisme chinois

Source : NBS, Equinoxe – novembre 2025

Feignants, nous ? Le second problème auquel l’Europe fait face est celui de la faible croissance de la productivité. Dans une étude récente, Goldman Sachs calcule que depuis 1995, la productivité aux Etats-Unis a augmenté de 2,1% par an en moyenne, soit le double de la zone euro (Graphique 2). Les Européens sont-ils des feignants ? Pas du tout. Cette différence se décompose en trois facteurs : (i) l’investissement dans de meilleurs outils, (ii) l’éducation de la main d’œuvre et (iii) la « productivité totale des facteurs », c’est-à-dire toute autre raison que nous allons détailler.

 

Production par heure travaillée

Source : Goldman Sachs – novembre 2025

 

Les raisons du succès. Les chiffres montrent que seuls les facteurs (i) et (iii) ont été importants dans l’écart entre Etats-Unis et Europe. Mais les raisons sont multiples. D’abord, les entreprises américaines ont investi significativement plus dans les outils logiciels et la recherche & développement pour augmenter la productivité de leurs salariés. Ensuite, le dynamisme du tissu entrepreneurial et de la concurrence fait que l’allocation des ressources se fait naturellement plus vite vers les firmes les plus efficaces. Les pratiques de management sont de meilleure qualité. Enfin, la taille des entreprises est plus élevée aux Etats-Unis quel que soit leur âge, avec notamment des entreprises géantes superstar, dont la productivité est très élevée.

Voilà le programme. La vague d’innovation de l’intelligence artificielle qui arrive est l’occasion de prendre acte de ce qui a manqué aux Européens depuis les années 1990. La profitabilité des entreprises pour leur permettre d’investir, une concurrence saine et forte, la fluidité du marché du travail et des capitaux, un marché intérieur plus large et unifié pour faire croître les meilleures firmes. Sans faire avancer ces priorités, l’avance des Etats-Unis promet de se poursuivre, au moins au même rythme que ces trente dernières années.

 

Portez-vous bien,

L’équipe Equinoxe

 

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