Stratégie | 29/03/24

Le télescope d'Equinoxe - Notre séminaire sur l’intelligence artificielle

Pour les lecteurs pressés, les points clés :

 > Equinoxe était cette semaine en séminaire pour approfondir notre compréhension de l’intelligence artificielle avec des intervenants de haut niveau.

 > Notre conviction est renforcée que cette thématique jouera un grand rôle dans les années à venir, au même titre qu’internet dans les années 2000.

 > La domination des Sept Magnifiques sur ce thème n’est que transitoire et de jeunes pousses devraient émerger à mesure que les coûts d’investissement vont baisser.

 > Malgré l’euphorie de court terme, il est loin d’être évident que les niveaux de valorisation de certains titres, comme Nvidia, soient exagérés considérant la trajectoire de bénéfices et leur avance technologique.

 

Cette semaine, l’équipe Equinoxe a organisé dans ses locaux un séminaire pour mieux comprendre les enjeux de l’intelligence artificielle (IA), thème devenu majeur depuis un an et le lancement de ChatGPT. Notre équipe a pu compter sur la présence d’intervenants prestigieux : un ancien dirigeant de Dassault Systèmes, champion français de l’IA, une dirigeante de Google en France, et un gérant actions spécialiste du secteur tech. Nous avons pu explorer le thème en trois actes : l’IA dans la pratique des entreprises, l’IA comme thème d’investissement sur les marchés financiers, et enfin l’IA comme facteur de bouleversement de nos sociétés. Voici ce que nous en avons retenu.

Chapitre 1 : pratique et déploiement de l’IA dans les entreprises

L’IA n’est pas une discipline nouvelle puisque les premières recherches datent des années 1980. Cependant, un point d’inflexion est apparu depuis environ 2015 avec une accélération de la recherche dans le domaine. Celle-ci a pu s’opérer grâce à deux éléments clés : l’augmentation de la puissance de calcul disponible et la disponibilité et le traitement de grandes quantités de données.

Aujourd’hui, la technologie de l’IA est la plus mature dans deux secteurs : la tech qui utilise particulièrement l’IA générative, et la santé. La tech est la plus visible, avec des cas d’usage déjà clairs dans la génération de texte, d’images, de sons et de vidéo. Mais la santé s’est rapidement emparée de l’IA car la complexité du corps humain fait qu’aucun modèle mathématique ne peut s’y appliquer et que d’autres approches étaient nécessaires. Aujourd’hui, les applications de l’IA dans la santé accélèrent radicalement la recherche et les phases de développement produit, raccourcissant les cycles d’innovation de plusieurs années. En particulier, des tests cliniques deviennent possibles sur des cohortes de populations numériques, comme Emma, le jumeau numérique de Dassault Systèmes.

Les applications dans d’autres secteurs, notamment l’industrie, sont plus en retard et le jour où l’IA concevra une voiture ou un avion est encore loin. Pour autant, il est clair qu’à terme, l’IA transformera tous les secteurs et sera un élément clé d’avantages compétitifs. Si une entreprise ne cherche pas dès aujourd’hui sa stratégie IA au pus haut niveau de management, elle est déjà en retard ! Pour autant, la définition d’une telle stratégie n’est pas évidente, entre la tentation de s’attaquer d’abord à de petites tâches secondaires et le défi de radicalement transformer son business model.

En tout cas, l’IA, en tant que quatrième phase de la troisième révolution industrielle (après successivement l’ordinateur, le logiciel, et internet) prendra du temps à se déployer, à l’image des phases précédentes qui se sont étalées sur plusieurs décennies. L’une des raisons principales en est son coût : l’investissement passe par l’achat de puissance de calcul au travers de puces de type GPU en très grande quantité, dont le coût est aujourd’hui énorme. A titre d’exemple, Microsoft devrait dépenser à lui seul environ 50 milliards de dollars par an ces prochaines années rien qu’en achats de puces. En comparaison, la stratégie IA de la France qui dispose d’1,5 milliards d’euros au total entre 2021 et 2025 fait pâle figure… Nos participants ont en tout cas une forte conviction que le coût de mise en œuvre de l’IA devrait baisser dans les prochaines années et bénéficier graduellement à tous les secteurs en multipliant les cas d’usage.

 

 Chapitre 2 : l’IA comme thème d’investissement sur les marchés

La hausse très forte des marchés actions depuis 2023 se caractérise par son étroitesse : seul un petit nombre d’entreprises en a bénéficié. Ce phénomène a donné naissance au terme des « Sept Magnifiques », à savoir sept valeurs considérées comme les grands gagnants de l’IA (Apple, Google, Microsoft, Meta, Nvidia, Amazon, Tesla). La question est de savoir si l’IA est synonyme de « winner takes all », c’est-à-dire que les gagnants acquièrent un avantage qui leur permet d’accroitre leur avance et de distancer toujours plus leurs concurrents, donnant naissance à des mastodontes dont la capitalisation boursière rivalise aujourd’hui avec le PIB d’Etats.

Aujourd’hui, ces entreprises ont effectivement une avance considérable. Nvidia a par exemple environ deux ans de recherche et développement d’avance sur son concurrent dans les GPU, la société AMD. Les puces de Nvidia ont multiplié leur puissance de calcul par 1000 en huit ans, et d’autres innovations importantes sont en préparation, notamment l’intégration de ses propres data centers et de ses propres câbles de transmission de données. Pour autant, Nvidia a besoin d’une chaîne de valeur complexe pour prospérer, avec notamment des étapes de production et de test à Taiwan, en Corée ou en Europe.

Nos intervenants partageaient la conviction que la concentration des gains de l’IA sur un petit nombre de sociétés n’est qu’une étape intermédiaire avant que d’autres projets ne voient le jour. Avec la baisse des coûts d’investissement, il sera possible pour de jeunes pousses de se faire une place dans ce secteur. Aujourd’hui, la start-up française Mistral AI en est une illustration, même si d’autres du même type se sont rapidement rapprochées de grands groupes (Deep Mind avec Google, Open AI avec Microsoft, Anthropic avec Amazon). Pour ce faire, et pour des raisons géopolitiques, les gouvernements vont tenter d’organiser la concurrence sur la production de puces et de sécuriser les chaînes de production en Occident. Les restrictions de partage technologique se multiplient à l’égard de la Chine qui a redoublé d’efforts pour combler son retard en subventionnant ses propres champions nationaux (Baidu, Ali Baba, Tencent, Huawei).

En tout cas, l’euphorie qui a entouré la thématique de l’IA n’implique pas que les prix atteints par ces sociétés correspondent à une bulle spéculative. Si la valeur du titre Nvidia a quasiment déjà doublé en 2024, c’est parce que son bénéfice va aussi doubler cette année. La période actuelle n’est donc pas comparable avec la bulle internet du début des années 2000 qui avait fini par s’écrouler. En revanche, d’autres thématiques importantes d’innovation sont éclipsées par l’IA, notamment la cybersécurité ou le calcul quantique dont les perspectives sont également très prometteuses.

 

Chapitre 3 : l’IA facteur de bouleversement de nos sociétés

L’objectif affiché d’une société comme Google est de créer d’ici quelques années des assistants numériques avec lesquels nous auront toutes sortes d’interactions au quotidien. L’IA générative a déjà trouvé sa place pour des millions de consommateurs mais nous pourrons bientôt bénéficier de traduction en temps réel et d’automatisation de toutes sortes de tâches. Cette technologie devrait accélérer la mutation des formes de travail, et Google a par exemple déjà amorcé un virage en prenant acte du fait que la société aura besoin de beaucoup moins de codeurs à l’avenir. L’IA générative augmente radicalement la productivité des métiers de texte (communication, droit, notariat, journalisme) et d’image (radiologues, graphistes). Pour autant, le plus probable est un nouvel épisode de destruction créatrice : de nouveaux emplois que nous ne soupçonnons pas encore remplaceront naturellement ceux qui disparaitront, de sorte que le chômage de masse est loin d’être inéluctable !

Certains applicatifs de l’IA vont aussi donner la possibilité d’améliorer l’accès pour tous à la santé et l’éducation. D’ici peu, la détection de symptômes de maladies sera systématique car peu coûteuse, tandis que chaque élève pourra bénéficier de son répétiteur numérique, avec des IA entraînées spécifiquement dans une langue ou une matière.

Pour autant, l’IA présente aussi des risques. Avec la possibilité de produire n’importe quel contenu à zéro coût, les réseaux sociaux deviennent des dépotoirs où le vrai et le faux sont impossibles à discerner. La manipulation des opinions par la viralité des réseaux n’est déjà plus un risque mais une réalité. La modération des plateformes, elle-même faite par des IA, ne suffit pas et la loi a un rôle éminent à jouer.

 

Au total, Equinoxe a confirmé sa conviction que l’IA est un thème majeur des prochaines années, au même titre qu’internet l’était à la fin des années 1990. Au-delà de souscrire à notre propre abonnement à ChatGPT et Copilot, nous serons attentifs aux différents sous-thèmes d’investissement, en actions ou en private equity.

 

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